Source de son existence
La danse est née, Dieu sait quand ! de façon spontanée. Un jour, ressentant le besoin d’extérioriser un trop plein de sentiments, quelqu’un s’est mis à danser. Il s’agit, ici, de la danse en général.
La danse flamenca, elle, n’a pas d’autre origine que l’adaptation, par les Gitans, de rythmes déjà existants. Andalous et Gitans, vivant en symbiose à partir du XVe siècle ont « flamenquisé » les musiques sur lesquels ils dansaient ; musiques qui venaient du folklore local, voire de régions plus reculées.
Les Andalous ont toujours fait preuve d’une réelle aptitude à danser quasiment atavique. Comme le dit Ricardo Molina : « le substratum du chant est tellement ancré qu’il se confond avec cette capacité innée que possèdent les Andalous pour chanter et danser » : un véritable substratum du chant et de la danse.
Les citations des auteurs classiques abondent dans ce sens. Avenio en parle dans son « Ora Maritima » lorsqu’il fait, avec admiration, l’éloge de l’extraordinaire sens du rythme des habitants de la Bétique, c’est-à-dire les Andalous.
Un autre témoignage est apporté cette fois par Marcial et Juvenal, pour qui la grâce des danseuses Phéniciennes, que l’on amenait de Cadix à la métropole de l’Empire afin de réjouir les plus fastueux festins de Rome, était sans pareille. Aujourd’hui encore cette grâce peut être observé à Cadix ou les femmes semblent danser lorsqu’elles traversent simplement la rue. Toute personne qui visite Cadix peut s’en rendre compte facilement.
La danse flamenca n’est pas une création propre aux gitans ; de même que le chant, elle ne fait pas partie intégrante de leur patrimoine. Pourtant l’apport des Gitans est important ; autant pour les origines et l’évolution de la danse ou que pour la marque personnelle qu’ils ont su lui imprimer.
Evidemment il n’est pas nécessaire d’être Gitan pour bien danser le flamenco mais il faut reconnaître que cela ajoute ce petit quelque chose, difficile à définir, qui donne à la danse un « plus » indiscutable. Sans même avoir étudié la technique des écoles, le Gitan danse, par instinct. Il possède en effet l’essentiel : la sensation du mouvement, aussi naturelle que la respiration.
Premières références
Les premières allusions littéraires, à propos de musique et précisément de danse gitanes en Espagne, apparaissent déjà au XVIe siècle ; par exemple dans les œuvres de Gil Vicente, Lope de Vega et, plus tard au XIIe, chez Cervantes. Au XVIIe siècke, Ramon de la Cruz parle, pour la première fois de seguidillas gitanes. Cependant il faut bien tenir compte du fait que toutes ces citations, comme bien d’autres encore, ne font nullement référence au flamenco. Il s’agit simplement d’allusions à la musique populaire hispanique interprétée, comme cela est souvent dit « à la manière gitane ».
La première référence concrète à ce qui peut déjà être considéré comme du flamenco se trouve dans une œuvre de Serafín Estébanez Calderón, en 1846, « Scènes Andalouses ». Dans le chapitre, intitulé « Danse à Triana », l’auteur énumère des noms précis de chants et de chanteurs qui appartiennent déjà, en tout bien, tout honneur, au monde du flamenco. Nous y trouvons aussi une liste de noms de danses et de danseurs déjà reconnus.
Une fois de plus même si intuitivement nous sommes persuadés que le flamenco et plus précisément la danse remontent à loin, il est vrai que nous n’avons aucune référence qui puisse témoigner sérieusement de leur présence, de leur existence avant le XVIIIe siècle. Et tant que le contraire ne sera pas prouvé, nous serons obligés de nous en tenir à cette période.
Caractéristiques de la danse flamenca
Le chant à toujours eu la faveur des connaisseurs et bon nombre d’amateurs lui portent un intérêt spécial, le tiennent pour supérieur à la danse. Toutefois cette hiérarchisation est très subjective, voire discutable dans bien des cas.
En revanche, il est clair que la danse fascine plus facilement et plus rapidement le public de non-connaisseurs. De par sa nature la danse est plus extravertie et ses possibilités de communication sont plus nombreuses. Elle fait davantage appel aux sens que le chant : l’oreille et la vue sont sollicités ensemble ; il est donc plus facile, ainsi, d’entrer dans son monde, de la comprendre et de l’apprécier. Voilà pourquoi les non-connaisseurs préfèrent la danse bien souvent. L’intérêt que suscite une figure en mouvement enchante plus de personnes à la fois qu’une simple voix, même si sa plainte est terriblement poignante.
Le danseur et la danseuse ont à leur disposition plus de moyens pour séduire. Ils sont favorisés par l’enchaînement des jeux de jambes, de bras, les battements de mains, les coups de talons et de pieds, la ceinture qui se plie, le torse qui s’étire, les nombreuses expressions du visage. Tout cela impressionne bien plus les profanes que le chant . Voici pourquoi, dans les salles de spectacle qui proposent du flamenco, la danse reste la principale attraction, surtout si ces salles ne reçoivent que des touristes néophytes, le but n’étant malheureusement que commercial.
A l’observation précise de la danse il apparaît que, chez l’homme, certaines attitudes prédominent : le torse est étiré, les pieds frappent le sol pendant que les bras et les mains restent presque immobiles alors que chez la femme, le jeu de bras déclenche un dynamisme plus marqué des mains et des doigts tandis que le corps se plie, se tord et se contorsionne, rappelant la danse de Salomon, s’enroule finalement dans une spirale ascendante.
Aujourd’hui des similitudes observées entre la danse de la femme et celle de l’homme nous conduisent à redouter un certain relâchement. Les mouvements présentent de plus en plus d’affinités, ce qui entraîne une sorte d’unisexualité gestuelle.
Dans la danse flamenca, la grâce, le style, la personnalité et le duende sont autant de qualités indispensables. Peut-être que danser ne s’apprend-il pas ! La danse peut être améliorée, elle peut progresser, c’est tout. C’est un don en quelque sorte. Ceux qui le possèdent naturellement le perfectionnent, mais ceux qui, hélas n’en bénéficient pas, ne pourrons que répéter de façon froide et fade les pas dictés par les règles de chaque style, parfois avec de réelles qualités techniques mais sans cette grâce, au sens propre du terme, et cette âme indispensables à la danse flamenca.
Nous pouvons observer aussi que, plus une danse est sophistiquée, superficielle, fausse, plus les costumes utilisés sont pittoresques, voire clinquants ; ceux que portent en général les danseurs et les danseuses sont une conséquence de l’évolution de la danse dans le temps et des exigences du spectacle commercial. Les illustrations t photographies du siècle dernier, représentant les artistes et leur tenue de danse, permettent d’observer que celles-ci n’étaient guère différentes des vêtements qu’ils portaient habituellement, même si les jupes étaient un peu plus amples et plus volantées.
Pour renforcer le côté « voyant » du spectacle, la jupe s’est peu à peu, allongée formant une sorte de traîne. Danser avec celle-ci n’est guère facile, et faire en sorte que le mouvement reste gracieux et agile demande une certaine habileté.
Maintenant il faut avouer que les danseuses qui maîtrisent cette technique peuvent compter sur cet élément original pour rendre la danse plus majestueuse tout en renforçant son effet.
Chez l’homme, ce sont les pantalons et les gilets qui, de plus en plus près du corps, ont accentué la beauté de la figure tandis que se généralisait le port de la chemise à gros pois noirs.
La couleur qui prédomine dans les vêtements de l’homme est, sans aucun doute, le noir, pour le danseur, le guitariste ou le chanteur. Il faut donc se méfier des spectacles de danse aux couleurs trop violentes où la chorégraphie disparaît sous les paillettes : plus le costume est voyant, moins « flamenco » risque d’être le travail de l’artiste.
Il faut ajouter qu’il existe un lien étroit entre la danse et l’espace utilisé par le danseur. Un espace scénique minimal est bien s^r nécessaire aux danseurs pour réaliser avec aisance leur mouvements mais il n’est pas de bon ton d’utiliser toute la scène. Autrement dit, la danse flamenca n’est pas une suite rapide de mouvements effectués par l’artiste qui parcourt la scène mais bien plutôt un enchaînement de figures esthétiques exécutées quasiment sur place. La danse flamenca n’est pas une gymnastique, ni un exercice de contorsionniste. C’est une transformation gestuelle continue, construite sur elle-même. Elle est expression plus que mouvement, noblesse plus que geste.
Les différents styles de danse flamenca
Ne se pliant pas systématiquement aux règles rigides de la danse, l’artiste imprimera toujours une marque personnelle à son travail. Ceci n’est pas en contradiction avec le fait qu’il existe, évidemment, des pas, des rythmes et des normes qui varient d’une danse à l’autre. Son expression aura beau être originale, le danseur ou la danseuse n’en devront pas moins respecter ces règles établies.
Les rythmes les plus dansés sont les suivants : les soleares, les bulerias et les chants de fête.
Il existe néanmoins des cantes qui ne se dansent pas. Ces cantes peuvent être classés en quatre groupes :
- Les chants dit à palo seco, sans guitare, à l’exception du martinete depuis peu.
- Les fandangos grandes et divers chant du Levant dérivés des premiers, comme les cartageneras, mineras, granaínas, média-granaínas, malagueñas ou jaberas.
- Les chants restés proches du folklore Andalou, plus ou moins flamenquisés comme les nanas ou les marianas
- Certains chants dits de ida y vuelta (aller et retour) ayant subi une influence hispano-américaine, comme les milongas et vidalitas
Parmi tous ces cantes qui ne se dansent pas, il est une danse, la seule qui ne se chante pas aujourd’hui : la farruca ; bien qu’à certaines occasions elle le soit ; l’anthologie « Hispavox » de 19054 en conserve un exemple exceptionnel grâce au cantaor Rafael Romero.
La tradition a voulu, tant pour le cante que pour la danse, que les différents états de tension crées par l’émotion ou le dramatique soient atténués par un final plus doux. Il en était ainsi pour les seguiriyas qui se terminaient souvent par des livianas pour dédramatiser. (le mot liviana vient du verbe aliviar = soulager).
C’est encore le cas aujourd’hui : la danse qui accompagne les soleares, quand elle atteint son paroxysme, se voit atténuée, adoucie par un passage à un rythme bulerias ou à d’autres rythmes gais du même style.
Il est possible d’atténuer un état d’émotion « in extremis » en l’allégeant par l’introduction de sonorités plus tempérées. Par contre la tendance actuelle consiste à mélanger indifféremment des styles choisis sans discernement et avec une fréquence assommante est contestable. L’amateur finit par ne plus savoir quel chant il écoute ni quelle danse il regarde. Si les connaisseurs même finissent parfois par ne plus rien y comprendre, il est facile d’imaginer le désarroi et la confusion où se trouvent plongés trop souvent les néophytes !
Heureusement cela n’est pas toujours le cas. Nous avons pu observer que cette tendance qui consiste à enchaîner, de façon malheureuse, différents styles, crée une grande confusion et s’accentue surtout dans le cas des tangos et des tientos. En effet on assiste trop souvent à un passage rapide et inadéquat des tangos aux tientos.
Nous dirons, pour clore, que la danse est une prolongation fébrile du cante. Elle émane de lui, elle s’en nourrit. Il est possible d’entendre un chant sans le voir accompagné d’une danse ; le contraire est plus difficile. C’est un peu comme si la voix du cantaor prenait corps, grâce à un mystérieux ensorcellement, dans une ardente figure humaine. La flamme est animée et maintenue par la voix du cantaor et, comme le disait Cocteau « le danseur se consume dans cette flamme ».