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1 novembre 2009 7 01 /11 /novembre /2009 12:01
ANTONIO MONTOYA FLORES. Pour les «aficionados», il est El Farucco. Maître de la danse gitane,le patriarche du flamenco n'a pas de maître.

 


 

(Extrait article paru dans Libération lors de la venue de Farruco à Marseille) 

Séville déserte est plombée sous le soleil. Dans un quartier populaire excentré , il existe un îlot, un havre de vie qui a su conserver la grâce et la fantaisie andalouse. On est à la PCF (Peña Cultural Flamenca, club culturel flamenco). Des oiseaux, du banal canari à des volatiles exotiques, enchantent le maître des lieux, le bailaor El Farruco. Cet espace au-dessus duquel se trouve le studio de danse (une seule petite pièce) a été conçu pour les amis. El Farruco veille jalousement sur cette peña qui résume toute sa vie. Il a refusé toutes les demandes de tournage à la PCF, y compris celle, récente, de Carlos Saura. Chacune des nombreuses photos accrochées au mur et encadrées a une histoire: «Ce sont des reliques, dit-il. Quand je les regarde, je fais le chemin en arrière, de toute ma vie.» Un seul cadre est vide. Le fils d'El Farruco, mort en 1974, dans sa dix-huitième année, dans un accident de moto. El Farruco, plus pudique qu'il ne paraît, ne s'attarde jamais sur la douleur: «J'ai arrêté de danser (il remontera en scène en 1978) à un moment tragique de ma vie. J'avais la barbe, raconte-t-il en désignant une photo. Mes filles m'ont grondé, si mon fils l'avait su, il m'aurait désapprouvé. J'ai acheté une maison et au bout de six mois pendant lesquels j'ai enseigné ma danse, ma fille s'est produite dans un tablao.»

 

Les photos, mais aussi les paniers en osier. Ils ont l'odeur de l'enfance. Né le 18 avril 1936, entre Jerez de la Frontera et Puerto de Santa Maria, Antonio Montoya Flores allait ramasser des rameaux que sa mère, La Farruca, tressait avant de les vendre. Elle était aussi bailaora. Le petit Antonio a commencé à danser à l'âge de 7 ans. Son apprentissage s'est fait naturellement, au rythme de la vie et des déplacements de sa famille nomade, au hasard des foires. En espadrilles, juché sur deux tabourets de paille encastrés l'un dans l'autre pour faire un tabouret de bar, devant une bière sans alcool (il s'est mis à la diète avant de danser à Marseille), il marque le rythme. Il vibre, quasiment sans interruption. Son regard est changeant, on y lit la malice ou l'aridité, celle de la terre sèche, poussiéreuse. Il n'a jamais eu de maître, il ne s'est jamais laissé dompter par aucun système. «Le danseur doit avoir la noblesse du cheval et le courage du taureau. J'ai appris la danse sur la route avec le pas des chevaux. On était marchands de chevaux. J'écoutais et j'ai reproduit les sons et les rythmes avec les mains puis avec les pieds.»

 

Pourtant, c'est un lion taillé dans l'or qu'il porte autour du cou, comme signe de richesse, précaire souvent: «L'or, c'est pour mettre au mont-de-piété quand les temps sont durs.» El Farruco ne manque pas d'humour, ni de grivoiserie. Le manager de la compagnie, Chantal Albertini, que la famille appelle Maria, hésite quelquefois à traduire certains propos de cet homme qui pense que le meilleur de la nature, «c'est le pain et la femme». Parfois, le ton se fait moins joyeux chez cet homme séduisant qui vit chemise ouverte sur ses rondeurs et sur un coeur généreux et mal en point. Alors que son gendre El Moreno, chanteur et époux de La Farruquita, époussette des cassettes d'un geste élégant et distrait tout en écoutant la conversation, il refait la route de l'enfance: «J'aimais la vie de nomade. Mais nous n'étions pas en paix. Il fallait constamment faire des preuves de bonne conduite. Entre 7 et 17 ans, j'ai beaucoup souffert de la ségrégation et de la persécution. Aujourd'hui, le fait d'être un bailaor reconnu me met à l'abri. Je n'ai plus à souffrir. Je vis comme un gitan avec une culture gitane et les règles de vie gitanes, et avec le confort, comme tout le monde.» Il ne semble pourtant pas très convaincu en rappelant que la jeunesse d'aujourd'hui est cantonnée au «cimetière» au fin fond du quartier de Triana ou pire, aux Tres Mil Viviendas (les 3.000 demeures), genre cages à lapins.

 

Le regard s'assombrit l'espace d'un instant. Le patriarche reprend ses droits sur la vie. Il aime faire rire. Il avait 10-11 ans, il ramassait des brins d'osier non loin de Séville, il a pris ses bottes autour du cou. Il est parti danser à l'Alameda de Hercules, le quartier où se produisaient les plus grandes vedettes de flamenco. Il s'est produit: les bottes étaient en caoutchouc. Avec son premier cachet, il s'est acheté des «bottes rouges, rouges, rouges». Le chapeau qu'il porte en scène a aussi une origine. Au service militaire, il avait été puni et tondu. Comme il devait danser devant le ministre de l'Armée de l'air, il a mis un chapeau qui lui va comme un gant. Le costume, pantalon et chemise blanche, est le sien, il n'est pas traditionnel. Il l'a improvisé un jour, il y a une trentaine d'années, dans une fête privée organisée par un industriel. «L'agent nous avait dit de bien nous habiller. Je m'étais fait faire un costume. Comme mon costume de scène était usé jusqu'à la moelle, j'ai gardé le neuf pour danser.» El Farruco a l'art d'improviser.

 

A Londres, alors qu'il était premier danseur dans la compagnie de Pilar Lopez, il a dû remplacer Antonio Gadès au pied levé. Comme il était beaucoup plus petit, on l'a juché sur une estrade: «J'avais peur, je ne savais pas danser là-dessus, je me suis raccroché au rideau de scène, le bide...» Il a eu sa revanche, toujours à Londres au théâtre Palace, le public l'a comblé de 24 levers de rideau. Une plaque commémore cet événement.

 

Il faut dire que, lorsqu'il entre en scène, alors qu'il peut danser seul, devant personne, sans musique, dans la rue, c'est une tornade. Une seule de ses pirouettes vaut plus qu'un ballet. Danseur extrêmement ramassé dans l'espace, il met toute son énergie dans un seul geste. Pas de bavardage: il travaille sur la retenue. Il ne donne pas tout, il préserve une partie secrète, sauvage, comme s'il disait au public: «Viens chercher ce que je retiens.»

 

Et il transmet sa danse, dans le strict respect de la hiérarchie familiale, à ses filles La Farruquita (Rosario), à La Faraona (Pilar), à sa petite fille Pastora, à ses petits-fils El Farruquito (Juanito, 13 ans) et El Farruquito (Antonio, 7 ans) qui a le même caractère que lui. Lors d'un tournage pour Canal +, le petit s'est arrêté, après avoir repris plusieurs fois une scène: «Je ne danse plus rien, même si c'est le vieux qui le dit.»

 

El Farruco en 8 dates 18 avril 1936. Antonio Montoya Flores (El Farruco) naît en Andalousie.

 

1947. Il se produit dans le quartier de l'Alameda à Séville.

 

1955. Intègre la compagnie de Pilar Lopez pour trois ans, après avoir dansé avec Lola Flores et Manolo Caracol.

 

1960. Danse avec José Greco pendant sept ans.

 

1974-1978. période de deuil.

 

1986-87. Danse dans le spectacle Flamenco puro.

 

1992. Inaugure avec sa famille les spectacles du pavillon d'Andalousie à l'Expo de Séville.

 

1995. Danse avec sa famille au grand complet au château de Borély à Marseille.

 

 

Article paru

le 19 décembre 1997 L’humanité  

Décès de « Farruco », l’un des maîtres du flamenco

Antonio Montoya Flores « Farruco », l’un des meilleurs danseurs de flamenco de tous les temps, est mort mercredi à Séville à l’âge de soixante-deux ans. Héritier d’une dynastie de danseurs et de musiciens, Farruco a marqué le flamenco « par son aspect rebelle, son indépendance, sa revendication rageuse de ses racines gitanes », selon Angel Alvarez Caballero, spécialiste du flamenco du quotidien madrilène « El Pais » et auteur de plusieurs livres sur le sujet. « Je suis un Gitan, un vrai, des plus purs ».

 

Il assurait avoir appris son art dans le ventre de sa mère. « Imaginez cette Gitane avec des ballots, les chemins, les paniers et moi dedans », racontait-il pour expliquer l’origine de son nom de scène, « Farruco ». Ce mot espagnol désigne en fait l’espèce de ruade que font les chevaux lorsqu’ils se rebiffent. Victime d’une crise cardiaque, Farruco appartenait aux compagnies espagnoles de flamenco les plus prestigieuses (comme celles d’Antonio « El Bailarin ») depuis les années quarante.

 

Il avait consacré les dernières années de sa vie à une académie de danse installée dans le quartier sévillan de Rochelambert. Il avait également pris part au film de Carlos Saura intitulé « Flamenco », qui était sorti en 1992 pour l’Exposition universelle de Séville.

 


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Virginia Pozo

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